V comme Verriers
Des familles de verriers dans mon arbre
Je vous propose de suivre 6 générations de maîtres verriers et leur parcours à l’étranger puis en France (une carte se trouve à la fin du texte). Plongeons dans le passé ensemble !
Mon ancêtre le plus ancien (Sosa 6848) est né en 1580 à Calavino, tout près de Trente, dans la région italienne germanophone du Trentin- Haut Adige. Cette région est frontalière avec la région du Tyrol autrichien. On est à 100 kms de Vérone, à 200 kms de Venise. Concertant cette dernière ville, en 1200, le Sénat de Venise obligea par décret les verriers à installer leurs fours sur l’île de Murano pour stopper les incendies trop fréquents.
Charles Joannes ANDRES est commerçant itinérant en gemmes de verre et en potasse purifiée. Son fils Joannes Michaelis (sosa 3424) est souffleur de verre, selon son acte de mariage en 1624 ; il meurt à Trente à l’âge de 91 ans ! Son fils dénommé également Jean (sosa 1712) quitte l’Italie au milieu du XVIIème siècle, traversant l’Autriche et la Suisse pour s’établir en Bavière, à Rohrdorf, près de la frontière autrichienne, à 80 kms de Salzbourg. Il se marie en 1665 avec Marie FALLER, fille d’un verrier, née plus à l’ouest, tout près du lac de Constance.
Pourquoi quitter l’Italie et venir s’implanter en Allemagne ? Sans doute parce que la paix est revenue dans la région : la guerre de Trente Ans s’était terminée en 1648. Cette guerre de religion a ruiné l’Europe centrale : plus de 2 millions de combattants morts et encore plus parmi les populations, soit près du quart de la population totale du saint Empire Romain Germanique ! La France, elle, s’était ralliée du côté des protestants allemands pour combattre son ennemi, les Habsbourg, qui l’encerclait (Espagne, Pays-Bas, Autriche) et avec l’idée de conquérir l’Alsace pour obtenir l’accès au Rhin.
Qu’ont besoin les verriers pour leur production ? Des forêts avec du bois de bonne qualité (du hêtre de préférence), une grosse quantité de fougères pour l’extraction de la potasse, beaucoup d’eau courante qui apporte un sable très fin, de la chaux pour sa qualité d’insolubilité, divers oxydes métalliques (fer, plomb, manganèse). Ce mélange doit être chauffé soigneusement dans un four mais pas à plus de 1 450° ! La méthode reste empirique pour améliorer la qualité du verre, d’où une tradition de recettes éprouvées que l’apprentissage fait passer d’une génération à une autre, … en secret. Pour ces raisons, les alliances entre familles de verriers sont fréquentes.
Jusqu’au XVIIème siècle, les verreries ne comportaient pas d’édifice en dur ; il s’agissait d’ateliers forestiers installés dans des clairières autour d’un foyer. Plus tard, apparurent des manufactures puis des fabriques comportant une grande halle équipée d’un four de fusion ainsi que plusieurs fours contenant des pots pour la fonte ; une quinzaine de maîtres verriers étaient nécessaires, avec leurs équipes de cueilleurs, de souffleurs, de tailleurs, de graveurs, sans compter tous les emplois gravitant autour (l’approvisionnement, la nourriture, le stockage, etc).
Jean ANDRES et Marie FALLER eurent au moins 13 enfants mais certains moururent prématurément. Un de leurs fils Joseph (sosa 856) quitte Rohrdorf vers 1700 en direction de Wiggensbach, à proximité du lieu de naissance de sa mère, dans le Jura Souabe. Le village est à 850 m d’altitude. Il épouse sur place en 1703 Ursula HOCQUEMILLER, elle aussi fille de maître verrier. Le couple ne reste pas longtemps sur ce site car Ursula donne naissance à Balthasar ANDRES (sosa 428) deux ans plus tard et 100 kms plus loin, à Walbertsweiler.
Suivant le déplacement de toute sa famille, Balthasar voyage 300 kms vers le nord-ouest, longeant la Forêt Noire et s’arrête dans le Palatinat, à Rotalben, où une verrerie a été fondée en 1715 par Jacques SCHMIDT, un parent de la mère d’Ursula. A 21 ans Balthasar se marie avec Agathe VOGT, née près de Munich ; nous sommes en 1726 et Agathe est elle aussi fille de verrier, souffleur de verre. Robalten n’est qu’une nouvelle étape d’environ 7 ou 8 années pour Balthasar et Agathe ; ils vont continuer vers l’ouest, vers la Belgique, enfin plutôt vers les Pays-Bas autrichiens (suite à la guerre de succession d’Espagne et au traité de 1715). Le père Joseph ANDRES n’effectuera que 56 kms pour aller travailler à la grande verrerie de Saint Ingbert, dans la Sarre. Il mourra à l’âge de 62 ans à 15 kms de là, à Illingen ; par contre sa femme Ursula décèdera 12 ans plus tard … à Charleroi !
Charleroi : telle est la destination de Balthasar. Un de ses frères, Melchior, s’y trouve depuis 1729 et il a demandé de l’aide pour redresser la verrerie de Moreau qui avait des difficultés à écouler sa production de verre de Bohême, rendue trop chère pour concurrencer les importations. Guillaume de Moreau avait décidé de développer plutôt la production de verre à vitres « à la façon allemande », moins onéreuse car de taille moins grande. Balthazar et un autre frère, Jean, le rejoignent donc en 1734.
C’est à Charleroi qu’Agatha accouche en 1740 de Jean Gérard ANDRES ou ANDRE (sosa 214). Le nom est francisé. Il aura 7 frères et soeurs. On retrouve Jean Gérard âgé de 24 ans à Dunkerque où il se présente comme souffleur à la verrerie royale dans son acte de mariage avec Jeanne Marie LAMANT, fille d’un menuisier. Devant la cherté du bois qui plombaient beaucoup de verreries l’idée germa d’employer du charbon de terre, surtout en provenance d’Angleterre car bon marché. En l’installant en basse ville, en bordure du canal de Bergues, la verrerie allait bénéficier d’une franchise des droits sur le charbon et autres matières premières. Malheureusement, la guerre de succession d’Autriche va contrarier l’approvisionnement ainsi qu’une circulaire générale imposant une norme (contenance et poids) pour les bouteilles produites : la production va décliner.
Cela peut expliquer pourquoi Jean Gérard ne reste pas à Dunkerque. Il retourne à Charleroi, redescend par Fourmies où se trouve une verrerie (Jeanne Marie accouche de Georges Adam à 6 kms, à Anor) et se fixe dès 1772 à Monthermé, dans les Ardennes. 8 de ses 10 enfants naitront dans cette ville jusqu’en 1784. En 1749 un cousin, Jean Gaspar ANDRIES, était déjà directeur de la verrerie de Monthermé ; ce maître souffleur (qui créera en 1778 la verrerie de Vonèche) s’entoura de verriers qu’il connut à Charleroi et à Saint Quirin (Metz) pour remettre en activité la verrerie après la faillite de l’exploitant précédent. Ils eurent l’autorisation de fabriquer « des verres en table à la façon de Bohême et toute autre espèce de verrerie ».
Et puis je découvre l’acte de décès de Jean Gérard en 1799 (5 frimaire an VIII) à Oizon, un petit village dans le Berry (département du Cher), à plus de 400 kms de Monthermé. En 1780, un avocat en parlement originaire de Langres, Melchior SCHMID, achète avec un négociant de Belfort la verrerie royale de Boucard. Avec celles d’Oizon (Aubigny) et d’Ivoy le Pré, ce sont donc 3 verreries établies à une distance de deux à trois lieues les unes des autres : dès 1793, les citoyens se plaignent des quantités importantes de bois coupé dans le district. La production est essentiellement du verre à vitre qui est diffusée non seulement dans la région mais également à Tours et à Nantes pour être exportée jusqu’en Amérique.
Ainsi se termine le voyage des ANDRIS/ANDRES/ANDRE de mon arbre généalogique. Une fille de Jean Gérard, Marie Victoire ANDRE (sosa 107), se marie en 1814 à Ivoy le Pré avec un voiturier à bats, peut-être employé à la verrerie mais pas un verrier. D’autres membres de la famille de Jean Gérard travaillant ou vivant à la verrerie décèdent à Oizon : ses fils Louis (en 1799) et Georges (en 1801), sa fille Sophie (en 1799), sa femme Jeanne (en 1815). Les 3 verreries n’auront pas un long avenir : Boucard périclite en 1800 à la mort de Melchior SCHMID, Oizon cesse son activité vers 1820 et Ivoy le Pré est remplacée en 1825 par un haut-fourneau et des forges.
Jean-Paul Berthet
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