« X, l'inconnue, cause du choléra – Arzon 1866 »
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Pour l'Européen du XXI° siècle, le choléra est une maladie en quelque sorte exotique, surgissant de temps à autre dans des régions lointaines, fragilisées, bousculées par les catastrophes du monde - guerres, tremblements de terre, tsunamis...-
Pourtant diverses vagues de choléra ont accablé nos ancêtres au cours du XIX° siècle, d'autant plus violentes que les causes de cette terrible maladie restaient inconnues. Les traces de ces épidémies se font sentir dans les registres d'état-civil, où des pages supplémentaires devaient être ajoutées pour noter une augmentation soudaine des décès.
Ainsi par exemple, la commune d'Arzon, habituée à l'époque à une moyenne annuelle de 47 décès, vit ce nombre grimper à 157 en 1866, et cela essentiellement à cause d'une épidémie de choléra, comme l'explique en 1867, le docteur Alfred Fouquet, « médecin des épidémies de l'arrondissement de Vannes », dans un Compte-rendu des épidémies, des épizooties et des travaux des Conseils d'Hygiène du Morbihan en 1866, publié chez l'éditeur-imprimeur vannetais Louis Galles.
Attendez, mais... Alfred Fouquet, Louis Galles... ces noms ne sont pas inconnus aux lecteurs assidus de ce blog ! Eh oui, le docteur Fouquet est celui-là même qui avait dirigé en 1853 les fouilles du tumulus de Tumiac en Arzon, avec l'aide de Louis Galles1. Ces deux hommes étaient des savants polymathes, curieux dans toutes sortes de domaines...
Les Arzonnais avaient donc fait la connaissance du docteur Fouquet en 1853 ; ils allaient le voir revenir quelques semaines en 1866 dans de bien tristes circonstances...
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La première manifestation d'une nouvelle vague de choléra dans le département du Morbihan est relevée à Lorient le 15 octobre 1865, et va s'étendre dans de nombreuses communes au fil des mois suivants, « sévissant avec rage dans certains lieux, se montrant bénin dans certains autres, passant quelquefois sur une commune sans la toucher, pour aller sévir dans une commune plus éloignée, et revenir parfois sur ses pas », selon des « bonds capricieux, difficiles à saisir ».
Et le 2 août 1866, elle atteint Arzon, où elle va s'acharner particulièrement. En 1884, le docteur Mauricet2 écrit d'ailleurs dans un rapport : « A Arzon, en Sarzeau, la maladie commença le 5 septembre [1832] au village du Bourg-Neuf, et sévit avec intensité. Je signale ce fait ; car nous verrons que cette localité sera toujours la terre priviliégiée des épidémies cholériques. S'il n'y avait qu'un point où il dût y avoir du choléra dans le Morbihan, je crois que ce serait à Bourg-Neuf, en Arzon. »
Toutefois, la population locale ne se rend pas tout de suite compte que les maladies et décès qui se déclarent depuis le début août sont dûs au choléra. « Le 9 septembre, le capitaine Largoët 3 âgé de 47 ans, et commandant du brick Le Joseph, venant de Nantes et de Saint-Nazaire où régnait le choléra, donnait, dans sa demeure, située au Bourgneuf, près du Mendu , un festin à ses amis , jouait aux dominos après le souper, se couchait bien portant, et mourait le 10 au matin, dans la période algide du choléra, après douze heures de souffrances atroces occasionnées par des crampes incessantes. Le même jour, et dans le même village, une petite fille de deux mois succombait aussi, en quelques heures, aux atteintes d’un choléra foudroyant. Alors, éclairée par le pavillon en berne du brick Le Joseph, la population entrait en émoi; le nom de choléra, prononcé pour la première fois, courait de bouche en bouche. On se disait que le terrible fléau venait d’être apporté, de Saint-Nazaire, par le capitaine Largoët; et les 3 décès qui eurent lieu le 13 septembre, deux au Bourgneuf et un à Labert, vinrent confirmer les dires et exalter les terreurs »
Alors, face à l'intensité de l'épidémie, le docteur Le Mauff, seul médecin de la presqu’île de Rhuis, et habitant Sarzeau, vient s'installer à Arzon, pour tenter de soigner de son mieux les très nombreux malades. Et le 23 septembre, face à l'énormité de la tâche, il fait appel au docteur Fouquet, qui vient lui aussi loger sur la commune, où il va rester 36 jours.
Rien qu'entre le 1er octobre et le 4 novembre, les deux médecins ne comptent pas moins de 155 cas de choléra à Arzon, et voient décéder 52 de leurs patients ; ils noteront au total, pour toute la période de l'épidémie, du 2 août au 4 novembre, 85 décès et 150 guérisons, sur 235 malades (soit plus de 10% de la population touchée).
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Le choléra est une infection intestinale aigüe et très contagieuse, qui se transmet par la consommation de boissons ou d'aliments contaminés par de la matière fécale. Il provoque des diarrhées très sévères et des vomissements qui mènent à une grave déshydratation et peuvent provoquer la mort en quelques heures. La prévention se fait par des mesures d'hygiène soigneuse, tant au niveau logistique général, avec une stricte séparation de la chaîne alimentaire et de la chaîne des excréments, qu'individuelle, quand la maladie est là, avec un nettoyage soigneux des mains, et une désinfection de tout ce qui a été souillé par la matière fécale (draps, linges des malades...).
Mais à l'époque, tout ceci n'est pas connu ; même si les travaux du Britannique John Snow ont établi en 1854 un rapport entre choléra et eau contaminée, l'information n'est pas encore largement diffusée et acceptée, et le bacille Vibrio Choerae responsable du fléau ne sera identifié qu'une vingtaine d'années plus tard. On voit bien dans les nombreux détails apportés par le docteur Fouquet dans sa description de la situation à Arzon en 1866 son souci de découvrir ce X, cette inconnue, la cause des ravages du choléra.
Avec une certaine intuition, mais qu'il ne mènera pas à son terme, il commence par expliquer que la commune d'Arzon n'est pas traversée par un cours d'eau, et que la population doit se contenter de mares, de fontaines et de puits, tant pour boire que pour les divers usages domestiques. Il écrit clairement : « C’est près de ces fontaines que les femmes du pays lavent les linges souillés, ce qui rend les abords de ces sources boueux et difliciles, et gâte souvent les sources elles-mêmes par le reflux des eaux immondes répandues autour d’elles », mais il se perd ensuite dans des considérations météorologiques4 , relevant notamment que « malheureusement, le 4 octobre, l’influence d’un orage a été funeste, et dès ce jour, le nombre des cas et le nombre des décès ont pris une bien plus grande extension ». Il consacre plusieurs pages de son rapport au relevé méthodique des conditions météorologiques locales quotidiennes pour toute la période de l'épidémie 5. et insiste sur « une concordance presque régulière entre le nombre des décès et l'abaissement simultané de la température et de la pression barométrique ».
Il s'intéresse également à l'hygiène des habitants et aux habitudes locales, et relève une habitude qui nous fait frémir. Arzon étant une commune tournée vers la mer, les hommes sont souvent absents, et « ce sont les femmes qui opèrent presque tous les travaux des champs et qui recueillent à la côte les varechs qui doivent servir à l’engraissement des terres quand ils sont frais », mais il note que ce n'est pas directement sur les terres à cultiver que l'on amoncelle « les herbes marines destinées a les rendre fertiles , mais c’est dans les villages même, devant chaque maison, que pourrissent les fumiers qu’on enrichit, chaque jour, de toutes les déjections, de toutes les balayures, de tous les débris animaux et végétaux qu’on recueille avec soin pour eux. Pendant tout le cours de l’épidémie, tout ce que les malades ont rendu a été versé sur ces fumiers qui, dans le dernier mois, ont été maniés et portés peu à peu sur les champs. A moins d’être familiarisé avec l’odeur infecte des fumiers de côte, on ne peut s’en former une juste idée, et l’odorat qui n’y est pas fait en est révolté. Je ne puis croire que l’enlèvement de ces immondices ait été étranger au développement si grave du choléra, dans le mois d’octobre ».
Il relève par ailleurs la pauvreté des habitants du pays, et les conditions misérables de logements de nombre d'entre eux : « J’ai vu souvent jusqu’à onze personnes entassées ainsi dans trois misérables lits , et c’est surtout dans ces ménages indigents que le choléra a sévi d’une manière lamentable ».
Comme d'autres avant lui, il accuse également « les habitudes vicieuses, l’intempérance surtout » et, de façon plus judicieuse, l'« extrême malpropreté ».
Dans son souci de comprendre la maladie, le docteur Fouquet s'est également intéressé à la typologie des victimes. Il constate que « le choléra d’Arzon a sévi, surtout, sur l’enfant et sur le vieillard. On a compté 56 décès au-dessous de 20 ans, et 25 au-dessus de 50. C’est aussi parmi les indigents qu’il a fait plus de victimes . […] La plus grande mortalité, constatée chez les femmes, tient généralement à leur séjour continuel dans les maisons et aux soins qu'elles donnent aux malades ; mais ici cette plus grande mortalité doit tenir aussi à leur plus grand nombre et à l'éloignement presque général des hommes du théâtre de l'épidémie 6 . Nos chiffres en ce sens ont donc peu de portée ».
S'il est clair que la cause précise du choléra – la contamination par des eaux souillées – n'est pas encore clairement établie en 1866, des médecins attentifs commencent donc à en avoir l'intuition, et poursuivent leurs observations, leurs hypothèses, dans le souci de faire avancer la science et la médecine. Par ailleurs, le rapport du docteur Fouquet, en évoquant, outre le choléra, la variole, la fièvre typhoide et les « fièvres intermittentes » qui frappent la région, nous rappelle que nos ancêtres, au XIX° siècle encore, étaient à la merci de nombreux fléaux qui nous sont devenus, grâce aux progrès de la médecine, de l'hygiène, et de la vaccination, pratiquement étrangers :
« Si maintenant nous comparons les dévastations du choléra, dans le Morbihan, au dévastations de la petite vérole, nous allons voir que le premier fléau, bien que plus redouté que le second, est cependant bien moins rdoutable.
Le choléra n'a pénétré en 15 mois que dans 42 communes. La variole, depuis 24 mois, a sévi dans 132 communes.
Le choléra a atteint 2 112 personnes. La variole a tourmenté 6 352 sujets.
Le choléra a tué 839 malades. Lavariole a fait périr 1 016 malheureux.
Le choléra paraît s'éteindre ou près de finir chez nous. La variole, au contraire, continue ses ravage et envahit d'autres lieux.
Pourquoi donc trembler devant le choléra, et redouter si peu la petite vérole, qu'on néglige le préservatif de ce fléau mis aux mains de Jenner par la Providence ?... Si le vaccin n'était pas encore connu, que de victimes n'aurions-nous pas à nombrer ? »
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En 1867, le Ministère de l'agriculture, du commerce et des travaux publics, décerne une médaille d'or au docteur Fouquet, qui est allé, « quoique malade, s'installer pendant 37 jours dans la commune d'Arzon, où il a montré une abnégation et un courage au-dessus de tout éloge », une médaille d'argent au docteur Le Mauff, qui dès le commencement de l'épidémie, « s'est fixé à Arzon où il a montré un courage et un dévouement à toute épreuve », et a «puissamment secondé le médecin des épidémies dans la direction des mesures sanitaires ». L'abbé Joseph Thomin, desservant d'Arzon, se voit également attribuer une médaille d'argent, pour avoir « par son attitude, soutenu le moral de la population, et largement payé de sa personne en allant sans cesse visiter les malades », et enfin deux jeunes femmes, Emilie Hervis et Marie Françoise Autier, reçoivent une médaille de bronze pour avoir été « constamment au chevet des malades » et pour avoir « prodigué avec un rare dévouement leurs soins aux malades atteints par l'épidémie. »
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Notes :
voir l'article T comme Tumulte au tumulus de Tumiac de ce challengeAZ https://geneabreizh.blogspot.com/2024/11/t-comme.html)
Secrétaire du Conseil central d’hygiène et de salubrité du Morbihan, Médecin en chef de l’Hôpital civil de Vannes
Il s'agit de Joseph Joachim LARGOUET, époux de Marie Anne LE CORRE, fils de Joseph Joachim LARGOUET et Marie Josèphe LE VAILLANT
« Les vents qui régnent habituellement sur la commune d’Arzon , viennent de la partie ouest, et varient du nord-ouest au sud-est. Ces vents donnent ordinairement soit du brouillard soit de la pluie. Pendant les deux premiers mois de l’épidémie, ils ont soufllé presque constamment, et le temps a été très humide »
Il est vrai que qui dit orage dit pluie, et les pluies ont certainement favorisé les écoulements d'immondices contagieux dans les villages. Mais on peut êre plus sceptiques sur l'influence des vents et des températures, qu'il va détailler soigneuesement.
Beaucoup d'hommes, marins, étaient alors absents de la commune.
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