A comme « Au Chien Taxé »


Ce titre pourrait renvoyer au nom d’un hôtel ou d’un restaurant. Il existe bien un hôtel du Lion d’Or et une auberge du Cheval blanc. Cependant, il s’agit de toute autre chose.

Nos ancêtres ont toujours possédé des chiens. Dans le monde rural de nos aïeux , les chiens de berger étaient nécessaires pour garder les troupeaux et les protéger du loup (lui-même ancêtre du chien). La bourgeoisie avait aussi ses chiens de compagnie et les aristocrates avaient leurs meutes de chiens pour la chasse à courre.

Au total, un cheptel canin conséquent peuplait notre pays depuis toujours. Il y a là un potentiel fiscal providentiel pour tout gouvernement qui cherche de nouvelles recettes fiscales.

Pas besoin d’inventer un nouvel impôt, cela a déjà été fait : sous le second empire, la misère populaire nécessitait de donner aux communes de nouveaux moyens pour aider les pauvres. Après la Révolution, on a créé les Bureaux de Bienfaisance à la charge des communes (ancêtres des CCAS actuels). Ces Bureaux de Bienfaisance ont besoin de fonds si possibles à la charge des communes et non de l’État. Un ministre des finances de Napoléon III a trouvé la solution : la taxe sur les chiens.

Cette taxe est créée par la loi du 2 mai 1855 dont voici un extrait :

Napoléon,

Par la grâce de Dieu et la volonté nationale, Empereur des Français,

A tous présents et à venir, salut …

Avons décrété et décrétons ce qui suit :

Art 1er A partir du 1er janvier 1856, il sera établi dans toutes les communes et à leur profit une taxe sur les chiens.

Art 2 Cette taxe ne pourra excéder 10 francs, ni être inférieure à 1 franc.

Art 3 Des décrets … régleront, sur la proposition des conseils municipaux, et après avis des conseils généraux, les tarifs à appliquer dans chaque commune …

Art 4 Les tarifs … pourront être révisés à la fin de chaque période de 3 ans.

Le décret du 9 janvier 1856 apporte les précisions nécessaires à l’application de cette taxe. Il est notamment mentionné dans ce texte que chaque commune doit à ses frais mettre en service un registre des déclarations de chiens (recensement des toutous) et que chaque propriétaire doit entre le 15 octobre et le 15 janvier se rendre en mairie pour y déclarer le nombre et la qualité des chiens dont il a la responsabilité. À cet effet, on établit deux catégories de chiens :

  • les chiens d’agrément ou servant à la chasse qui sont les plus taxés,

  • les chiens de garde (aveugles, troupeaux, habitation), les moins taxés.

La déclaration doit mentionner le nombre de chiens et leur usage. Le registre des déclarations sert alors à l’établissement d’une matrice des personnes imposables. La taxe sur les chiens est recouvrée dans les mêmes conditions que les impôts directs.

Ce nouvel impôt ne manque pas de soulever des difficultés concrètes. D’une part, ce nouvel impôt est impopulaire mais d’autre part l’accroissement des moyens financiers accordés aux communes est bien vu au regard des charges qui leur incombent pour soulager la misère des pauvres.

La mise en œuvre de cette nouvelle taxe va cependant entraîner bien des procédure contentieuses en raison des propriétaire qui veulent éviter la taxation et aussi à cause des communes qui se disputent cette nouvelle manne financière. À qui le propriétaire du chien doit-il verser sa taxe.

Si le propriétaire du chien réside à la fois à la ville et à la campagne (cas des riches propriétaires terriens), où doit-il faire sa déclaration ? La réponse est apporté la un arrêt du conseil d’État du 11 février 1857 : la déclaration doit être faite dans la commune ou réside le chien au moment de la déclaration.

Si le chien réside dans une ferme qui est à cheval sur deux communes, où faire la déclaration ? Le Conseil d’État décide le 25 mai 1864 que la déclaration doit être faite dans la commune où réside son maître.

Faut-il payer la taxe pour un chien perdu au moment de la déclaration (1er janvier) même si le chien a été retrouvé en avril ? Non dit le Conseil d’État dans un arrêt du 16 mars 1859.

Qui doit déclaré un chien : celui qui le garde ou son propriétaire (cas d’un chien en garde chez un garde-chasse) ? C’est à la personne qui le garde d’en faire la déclaration (arrêt du Conseil d’État du 16 février 1856).

Un chien spécialisé dans la destruction de taupes doit-il être déclaré dans la première catégorie (la plus chère) ou dans la seconde (chiens de garde) ? Un tel chien doit-être déclaré dans la catégorie des chiens utiles la moins imposée (arrêt du Conseil d’Etat du 29 mai 1866).

Force restera donc à la loi et la taxe sur les chiens sera bien appliquée durant de nombreuses années. Elle sera l’occasion de réaliser dans chaque commune un recensement des propriétaires de chiens qui fera le bonheur des généalogistes amateurs de vieux papiers qui parlent du mode de vie de nos ancêtres.

L’histoire ne dit pas si les chiens errants, si nombreux à cette époque, furent heureux d’échapper à la taxe car non recensés ! Pour les taxer, il aurait fallut leur trouver un propriétaire et peut-être exiger que les braves toutous soient tous munis d’un collier avec les coordonnées de leur propriétaire comme on l’a fait ultérieurement pour les véhicules automobiles avec les plaques d’immatriculation !

Cette seconde moitié du 19è siècle aura été un sale temps pour les toutous !

La chute de l’empereur Napoléon III en 1870 à Sedan et son abandon du trône impérial ne changea rien pour les braves toutous qui ont continué à payer la taxe après la chute de l’empire !


Tous ces documents se retrouvent aisément dans Gallica1 pour les textes cités et dans les archives communales pour les registres de déclarations de chiens.

1Notamment Codes Français et Lois Usuelles par Rivière Hippolyte édition N°4 1818-1892, pages 424 et 428

Commentaires

  1. Intéressant ! j'avais des ancêtres bergers à l'époque. Ils ont forcément été concernés. Ce serait sympa de retrouver leurs déclarations dans les registres des chiens, mais j'imagine que toutes les communes ne les ont pas conservés (et il faut sans doute se déplacer). Je note quand même...🤞🤞. (Sylvie, du blog Traces et petits cailloux)

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  2. Oui Shiva, il existe bien des registres de chiens aux AD et parfois dans les communes, toute la difficulté est de les trouver, les archives communales sont souvent en triste état quand elles existent encore... merci de ton commentaire

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  3. Il existe une taxe annuelle en Allemagne de 72 à 600 € qui rapporterait plus de 400 M€ Restons sur nos gardes ...🐕

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    1. pourquoi pas, quand on a de quoi nourrir un animal on a sans doute le moyen d'être un peu solidaire?

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