V comme VENUS


Allons à la rencontre de la Vénus de QUINIPILY
Ma grand-mère maternelle, GUILLEVIN Marie-Josèphe, née à LOCOAL-MENDON en
1883, ignorait tout de ses lointains ancêtres : des gens aisés et surtout des gens modestes.


Parmi ses aïeux, une famille retient l’attention :
Il s’agit de la famille de ROSNARHO ou ROSNARHO (lorsque la particule disparut)
descendant, par un enfant adultérin : Guy de ROSNARHO, d’une famille noble de
LOCMARIA-GRAND-CHAMP : les CHOHAN DE COETCANDEC.
Guy de ROSNARHO était le seul enfant de Hiérosme CHOHAN (1578-1622), conseiller et
garde des sceaux au Parlement de Bretagne, assassiné d’un coup de pistolet, par Jean
DESPREZ, sous le porche d’une église de RENNES où il venait d’assister à un office.
Si Jean DESPREZ fut jugé et exécuté, le mobile de son acte est resté inconnu. Il a été
murmuré qu’il aurait été commandité par Françoise DU HAN, épouse légitime et bafouée de
Hiérosme CHOHAN, mais cela n’a jamais été prouvé.
Guy, fils de Hiérosme CHOHAN et de Françoise de KERBOUDEL, dame de Ville de
Guénéac en MOHON, reconnu par ses deux parents, mais non légitimé, ne pouvait porter le
nom de son père, et il reçut le nom de ROSNARHO, nom de son arrière-grand-mère :
Jehanne LE GRILLON DE ROSNARHO en CRACH, épouse de Pierre IV CHOHAN de
COETCANDEC (1498-1577).
Guy de ROSNARHO, marié avec Jeanne TRENEUF, fille d’un notable d’AURAY, n’eut
qu’un fils : Paul (1650-1724), lequel épousa le 13 Septembre 1672 à CAMORS, Augustine
DU VIEUXCHASTEL :
Augustine, fille de Thomas du VIEUXCHASTEL né avant 1616, sieur de la Porte Verte,
procureur fiscal de la juridiction de CAMORS, et d’Yvonne LORSEUL, dame de Boisjolly.
Thomas du VIEUXCHASTEL était le fils d’une première union (légitime ou non ?) de Pierre
1er comte DE LANNION, seigneur de Cruguil, Baron du Vieuxchastel et de la Porte Verte,
chevalier de Saint Michel, gouverneur de Vannes de 1625 à 1652, et d’Auray.
Pierre DE LANNION épousa vers 1617, Renée d’ARRADON, fille de René, seigneur
d’ARRADON, gouverneur de Vannes de 1592 à 1624, et d’Auray, avec laquelle il eut au
moins 3 enfants, dont Claude (1624-1695). Pierre DE LANNION est décédé après 1652.



 

ET LA VENUS DE QUINIPILY, que vient-elle faire dans ce rappel de généalogie ?
Sur la commune de BIEUZY LES EAUX (Morbihan), autrefois paroisse de BIEUZY, se
trouvait une terre appelée la Coarde ou Couarde, contournée presque entièrement par la
rivière : le Blavet. Cette terre est devenue ensuite paroisse de CASTENNEC.


Site de CASTENNEC contourné par le Blavet

A la Coarde ou Couarde, des moines venus de REDON, bâtirent une maison conventuelle et
une chapelle. Ces moines ont desservi pendant 3 siècles environ la paroisse de
CASTENNEC.
A leur départ, la paroisse de CASTENNEC fut réunie à celle de BIEUZY.
Mais le site de CASTENNEC était connu depuis très longtemps.
Ce site de CASTENNEC, presqu’île abrupte contournée presque entièrement par le Blavet,
était un emplacement facile à défendre. Ancien oppidum gaulois, il est ensuite devenu camp
romain car établi sur la voie romaine qui reliait Darioritum (Vannes) à Vorgium (Carhaix-
Plouguer)
Les romains y établirent le siège d’un « vicus » connu sous le nom de Sulis ou Sulim, occupé
par de nombreuses « villae » gallo-romaines, jusqu’en l’an 400 environ.
La maison de la Coarde rappelle le souvenir de la garnison romaine qui occupait jadis cet
emplacement où se trouvait la maison de la garde.
Cet emplacement romain fut abandonné à la chute de l’empire au Vème siècle.
Dès le VIème siècle, des bretons pénétrèrent dans ce territoire.



La « montagne » de CASTENNEC
D’après la légende : 2 Missionnaires : Saint Gildas (écossais) et son disciple Saint Bieuzy
(Gallois) s’installèrent dans un ermitage constitué d’une grotte creusée dans un amas de
rochers sur la rive droite du Blavet au pied de la colline de CASTENNEC, et y construisirent
un oratoire.
Bientôt, les populations alentour accoururent vers leur ermitage et des moines vinrent de
Rhuys retrouver leur abbé Saint Gildas qui, toujours d’après la légende, aurait auparavant
fondé le monastère de Saint Gildas de Rhuys.
Cet ermitage implanté pour christianiser le peuple breton, est devenu au XVème siècle, la
chapelle Saint Gildas existant encore aujourd’hui.
Saint Gildas s’occupa des moines et utilisa les matériaux d’un ancien temple attribué à ISIS
pour construire le monastère de la Couarde.
Suite à diverses invasions barbares, le danger guettant les moines, Saint Gildas quitta les
bords du Blavet pour retourner à Rhuys, et Saint Bieuzy resté à CASTENNEC, eut la tête
fendue par le glaive d’un tyran, à qui il avait refusé d’obéir.



Ermitage de Saint-Gildas, site de CASTENNEC
Au XIème siècle, à l’endroit le plus resserré de la presqu’île de CASTENNEC, fut bâtie une
tour féodale. Elle a pu remplacer une tour antique.
Cette tour féodale s’appelait alors Castellum Noïec, en français Castel Noc, d’où vient le nom
de CASTENNEC, qui a donné son nom à la colline entourée par le Blavet.
Ce château possédé d’abord par les vicomtes de Porhoet, passa ensuite aux vicomtes de
ROHAN. Ceux-ci laissèrent peu à peu tomber en ruines leur château.
Lorsque les moines venus de REDON, quittèrent CASTENNEC pour retourner à REDON, le
couvent délaissé tomba bientôt en ruines.
C’est dans les ruines de ce prieuré qu’on retrouva une antique statue attribuée à VENUS. Les
paysans la relevèrent et l’appelèrent « la femme de la Coarde », en breton « Groah er
Goard ».
Rapidement, et jusqu’à la fin du XVIIème siècle, elle fut vénérée dans la région sous le nom
de Notre-Dame-de-la-Couarde, en breton « ar croah houarn » (la femme de fer) ou « ar groah
haart » (la vieille gardienne).

Un écrit du début du XVIIIème siècle dit qu’il y avait dans la paroisse de BIEUZY, sur une
montagne qui est presque entourée de la rivière de Blavet, une statue antique, grossièrement
taillée, qui représentait une grosse femme d’environ 7 pieds de hauteur.
Les habitants la vénérait, les offrandes étaient nombreuses et on lui prêtait des pouvoirs
miraculeux.
Les jeunes filles des environs, désireuses de se marier, venaient, avec les jeunes gens, prendre
des bains dans l’auge qui se trouvait aux pieds de la statue et des abus indécents se
produisirent, ce qui finit par inquiéter l’évêque de VANNES, Charles de ROSMADEC.


Gravure ancienne représentant la Vénus et son auge
Dans les environs, entre la commune de CAMORS et la commune de BAUD, se trouvait le
domaine de QUINIPILY.
Dès 1425, il dépendait de la famille de LANGOUEZ qui y fit bâtir un premier château.
Vers 1550, le domaine passa par alliance à René seigneur d’ARRADON, gouverneur de
VANNES et d’AURAY de 1592 à 1624, père de Renée d’ARRADON, épouse légitime de
Pierre DE LANNION :
Le revoilà, le grand-père d’Augustine du VIEUXCHASTEL épouse de Paul DE
ROSNARHO !

C’est la famille de LANNION qui fit construire le grand logis au XVIIème siècle, sur une
terrasse située en-dessous de l’emplacement de l’ancien château.
C’est grâce aux dessins de Louis-Ferdinand CASSAS que l’on peut retrouver le nouveau
château aujourd’hui disparu.


Dessin du château de QUINIPILY par Louis-Ferdinand CASSAS
En effet, le dernier propriétaire, le Duc de la ROCHEFOUCAULT-LIANCOURT émigra aux
Etats-Unis en 1792. Bien national, le château fut vendu en 1795 à Mr GIRALDON,
entrepreneur de travaux publics qui le fit démolir.
Revenons à la statue :
Etant l’objet d’un culte local que l’Eglise finit par considérer comme païen, lors de la mission
de BAUD, prêchée par les jésuites de PONTIVY, ceux-ci, appuyés par l’évêque de
VANNES, prièrent le seigneur de QUINIPILY, Claude de LANNION, fils de Pierre 1er, et
demi-frère de Thomas du VIEUXCHASTEL, de jeter la statue dans le Blavet, ce qui fut fait
en 1661.
Les habitants crièrent au sacrilège, et en 1664, à la suite de mauvaises récoltes que les
paysans du lieu attribuèrent à une vengeance de la statue, ceux-ci la sortirent de la rivière et
l’adorèrent plus que jamais.

Monseigneur de ROSMADEC, évêque de Vannes, émit l’avis de briser la statue. Claude de
LANNION, gouverneur de Vannes et seigneur de QUINIPILY, chargea de la tâche 4
ouvriers, mais l’un d’entre eux fit craindre aux autres une vengeance céleste s’ils mettaient à
exécution ce projet de l’évêque et du comte de LANNION.
Pris de peur, ils brisèrent un bras et une « mamelle » de la statue, et la précipitèrent à nouveau
dans la rivière où elle resta plusieurs années.
En 1672, une chute de cheval laissa Claude de LANNION 24 heures sans pouvoir parler.
Les paysans pensèrent qu’il avait été puni pour avoir maltraité la « Couarde » nommée par
eux « Notre-Dame-de-la-Couarde » et l’avoir à nouveau jetée dans la rivière.
Claude de LANNION décéda en 1695.
En 1696, Pierre de LANNION, le fils de Claude de LANNION, seigneur de QUINIPILY,
personnage très important : maréchal de camp des armées du roi, gouverneur de la ville de
Vannes, baron de Malestroit, apprit qu’il y avait dans le Blavet une statue de pierre ensevelie
dans le sable.
Pensant que cette pierre « informe et inutile » pouvait lui servir pour quelques aménagements
dans son jardin de QUINIPILY, il la fit sortir de l’eau par des hommes et sujets qui en vinrent
à bout difficilement compte tenu de son poids, et la fit transporter dans une grange située
dans le parc de son château.


Statue de la Vénus de QUINIPILY

Parallèlement, Charles CARIOU, notaire et procureur de la juridiction de Lanvaux,
propriétaire en partie de la métairie de la Couarde, alla trouver Pierre DE LANNION et lui
apprit que cette pierre était une figure de Vénus appelée « Groah Er Hoard » et lui proposa,
comme l’auge qui accompagnait la statue et qui se trouvait sur son terrain, de lui vendre le
tout pour la somme de deux louis d’or valant vingt-huit livres. La vente fut reconnue le 5 Juin
1698 par un acte passé devant deux notaires de la juridiction de Kerveno-Baud.
Pierre DE LANNION pensa qu’il pourrait utiliser l’auge comme bassin avec un jet d’eau, ce
qui ferait le plus bel effet dans son jardin.
L’auge et la statue n’étaient pas encore installées que, le 4 Avril 1700, le Duc DE ROHAN
assigna Pierre DE LANNION à la juridiction de PONTIVY, pour le condamner à rétablir la
statue dans la place qu’elle occupait avant et lui interdire d’enlever l’auge de la métairie de la
Couarde.
Le comte de LANNION en appela au Parlement de Bretagne à RENNES.
Ce fut le début du procès, où le duc DE ROHAN tenta de démontrer que la métairie noble de
la Couarde relevait de son fief et que, dans ce cas, ces antiquités lui appartenaient.
Dans les documents du procès, on peut lire que : « sur la montagne de CASTENNEC, à la
Couarde qui est près de l’église du prieuré, il y avait deux antiquités, l’une une statue
représentant la déesse Vénus et l’autre une auge en pierre. Ces deux pièces étaient de temps
immémorial sur cette montagne et ont toujours été regardées comme des reliques de
l’antiquité et des restes de paganisme et qu’elle est appelée vulgairement la statue de la
Couarde. La statue et l’auge sont placées à une distance de cent cinquante marches de la
porte de la chapelle ».
Pour le Duc DE ROHAN, la version était différente. D’après lui, ce sont les anciens
seigneurs de Rohan qui les ont fait construire et si ces antiquités sont placées sur le terrain de
la métairie de la Couarde, c’est que ce terrain leur appartenait.
On sait donc que la statue était là « de temps immémorial et qu’elle a même donné son nom à
la chapelle « Notre-Dame-de-la-Couarde ».
Par un jugement du 21 janvier 1701, les juges du Parlement de Bretagne donnèrent raison à
Pierre de LANNION qui avait eu le mérite de sauver l’idole des eaux du Blavet, et
déboutèrent le Duc de ROHAN de sa demande, le condamnant à supporter les frais du procès.
Depuis lors, « la femme de fer » ou « Notre-Dame-de-la-Couarde » veille sur le jardin et les
restes du château de QUINIPILY, du haut de son piédestal, telle qu’elle avait été installée par
Pierre de LANNION.
C’est une sculpture de 2,15 mètres de haut, posée sur le linteau d’une fontaine en granit. Elle
représente une femme nue, debout, VENUS ou ISIS, croisant les bras sous la poitrine, et
serrant une longue écharpe qui lui cache « le mont de Vénus ».

Statue de la Vénus et son auge dans le jardin de l’ancien château de QUINIPILY
Cette VENUS a reçu la visite de tous les historiens et archéologues bretons.
Elle a donné lieu à des discussions passionnées entre ces archéologues et historiens.
Certains y ont vu une ISIS Egyptienne, la cuve étant le tombeau d’OSIRIS.
D’autres pensèrent qu’il s’agissait de VENUS pleurant sur le tombeau d’ADONIS.
Elle fut encore considérée comme une déesse arabe ou Syrienne érigée par les soldats maures
en garnison chez les Vénètes.
Et encore, qu’elle fut adorée par les légions romaines de la garnison de Sulim, qu’elle fut une
cybèle (déesse phrygienne adorée par les grecs puis par les romains), une déesse gauloise…
D’autres ont même soutenu que l’ancienne statue avait été brisée et que l’on en avait retaillé
une autre.
Mais, peut-on réellement concevoir que le Duc de ROHAN ait fait les frais d’un procès qui
dura d’avril 1700 à janvier 1701, pour posséder une statue qui ne soit pas authentique ?
A QUINIPILY, depuis trois siècles, Notre-Dame-de-la-Couarde, devenue LA VENUS DE
QUINIPILY, garde tout son mystère.

Remparts de Quinipily, principal vestige de l’ancien château


Ancien four à pain










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