Y’a rien à comprendre à Bieusy
La société de l’Ancien Régime était très imprégnée de croyances et de superstitions, surtout dans les campagnes.
En effectuant des recherches dans les paroisses de la vallée du Blavet, j’ai noté qu’à BIEUZY, dans les années 1695 à 1705, plusieurs phénomènes inexpliqués s’étaient produits, et notamment des guérisons « miraculeuses » d’humains et d’animaux.
1 - Le prêtre Jacques LESTRAT explique que le 16 Décembre 1696, un habitant de Remungol est venu assister à la messe à BIEUZY en remerciement de l’intercession de Saint Bieuzy pour la guérison d’une vache atteinte de la rage.
Mais, pourtant, cette même année 1696, Saint-Bieuzy ne s’était pas montré particulièrement bienveillant à l’égard des paroissiens de Bieuzy !
Les récoltes de seigle avaient été particulièrement mauvaises, entrainant de la misère,
Du début du mois de septembre au début du mois de décembre, la dysenterie avait sévi et 68 personnes du village, tant petites que grandes, étaient décédées.
(BMS Bieuzy 1630-1699, vues 224 et 225).
2- Le même prêtre Jacques LESTRAT explique que le 8 Octobre 1697, la petite Louise PIERRES dit CAM, âgée de 5 à 6 ans, fille de Jacques PIERRES dit CAM et de Jeanne LE CORRONC du village de BIEUZY, ayant une taie sur l’œil, alla en compagnie d’une de ses sœurs nommée Françoise, après la messe, à la fontaine de Notre Dame des Roys proche du moulin de Monsieur le duc de ROHAN au bout du pont de Saint Nicolas, et l’œil lavé aux eaux de ladite fontaine, la taie se retira entièrement en 2 ou 3 fois après avoir fait la même chose 3 ou 4 fois.
Fontaine St Nicolas (Bieuzy-Les-Eaux)
Le père et la mère de ladite fille avaient fait quelques offrandes le quinzième jour du mois de décembre et avaient demandé au prêtre de déclarer à l’assistance, pendant la grand-messe, que leur fille Louise avait trouvé la guérison, par l’intercession de Notre-Dame des Roys, ce que le prêtre fit en affirmant que la chose était véritable, ayant interrogé le père, la mère et tous ceux du village qui ont unanimement dit que la chose s’est passée de cette manière. (BMS BIEUZY 1630-1699, vues 244 et 245).
3- Le prêtre LESTRAT raconte qu’un certain Louis LORET de la paroisse de PLOERDUT (Morbihan) est venu lui déclarer, le dimanche 24 Novembre 1697, jour de fête de Saint-Bieuzy, qu’au commencement du mois de mars 1697, allant donner à manger à ses bêtes dans un champ un peu éloigné de son logis, il s’aperçut qu’un de ses bœufs présentait un comportement anormal (il piétinait fortement la terre de ses pieds, et tapait les murs de ses cornes, tellement qu’il avait fallu l’attacher avec 2 cordes pour passer la nuit). Le soir, dans son lit, il voua son bœuf à Saint Bieuzy et promit un demi-minot de seigle en offrande avec promesse d’aller à l’église dudit Saint Bieuzy le jour de sa fête le 24 Novembre en suivant. Le lendemain vers midi, le bœuf se portait fort bien. Le 24 Novembre 1697, Louis LORET est venu à l’église de BIEUZY avec son offrande pour tenir sa promesse. (BMS BIEUZY 1630-1699 vue 243/286).
Renseignement pris sur le minot, il s’avère que c’est un contenant en bois, cerclé de bois ou de fer et qu’il sert à mesurer les grains. Voir à la fin de l’article pour des explications complémentaires concernant les mesures existant avant la Révolution et la mise en place du système métrique.
4 – Le prêtre LESTRAT raconte que le second jour du mois de février mil sept cent un, environ les huit, ou neuf heures du matin, il y eut un si horrible et épouvantable brouillard de vent, pluie et neige fondue, qu’on n’avait jamais vu pareil, que les arbres étaient déracinés de la terre, ou les branches cassées et les toitures des maisons, de l’église brisées et fracassées, tellement qu’on dit que dans le bois seul de Rimaison il était tombé une grande quantité de gros bois et le prêtre était alors allé au village de Guisgoff porter les sacrements et à son retour, il trouva le presbytère de Bieuzy dans lequel presque toutes les chambres étaient remplies d’eau et cela fut le cas partout. (BMS BIEUZY 1700-1739 vue 41/501). Ce jour-là encore, Saint-Bieuzy ne s’était pas montré protecteur de la paroisse !
5- Toujours le même prêtre LESTRAT relate les faits suivants : Le 27 Juin 1701, un soir René CABELGUEN âgé de 29 ans, du village de Lelfaux en la paroisse de Bieuzy, pendant son sommeil eut une « imagination que son genou droit était grandement enflé et rendait si grande pourriture et vilainie », qu’il lui aurait fallu couper la jambe. Sinon, quelqu’un lui avait dit que non, qu’il n’avait qu’à se vouer à Notre Dame des Roys et qu’il se guérirait. Sur quoi, il s’éveilla, et vit qu’il n’avait nul mal à son genou. Le lendemain matin, 28ème, racontant la chose à ses parents, on attribua cela à un songe, mais le contraire arriva, car cedit jour de mardi à midi, son genou se trouva en même état qu’il avait rêvé la nuit précédente. Sans pouvoir cheminer qu’à l’appui d’un bâton, il fut ainsi le mercredi. Le jeudi en suivant, au matin, il alla à l’appui de son dit bâton à la fontaine de Notre Dame des Roys proche du moulin de Saint Nicolas Blavet en la paroisse de BIEUZY. Il fit sa prière, lava son dit genou de l’eau de ladite fontaine, puis monta à la chapelle de la Trinité. En étant arrivé, il commençait déjà à être soulagé de la douleur, et s’en vint de la chapelle de la Trinité sans bâton audit village de Lelfaux. Le dimanche suivant 3ème jour de juillet, il vint au bourg de BIEUZY et donna cinq sols pour être employés à la gloire de Dieu, et de Notre Dame des Roys, ce que le prêtre soussignant, a déclaré avoir vérifié et être véritable. (BMS Bieuzy 1700-1739 vue 41/501)
6- Le prêtre LESTRAT explique que le 13 Août 1703 : un certain particulier de la paroisse de BIEUZY en l’Evéché de Vannes, voisin de la chapelle de la Trinité, homme digne de foi et de probité, eut une nuit dans son sommeil, une vision en laquelle il semblait voir une grande dame brillante de clarté et un grand nombre de peuple en l’église de la Trinité. Ensuite, cet homme digne de foi persuada le sieur recteur de BIEUZY, d’ériger quelque autel en la chapelle de la Trinité en l’honneur de Notre Dame des Roys, ce qui fut fait, l’autel ayant été fabriqué en bois par un artisan du village de Pluméliau. Puis, il déclara qu’en l’honneur de Notre-Dame-des-Roys, il fallait instaurer une fête le dimanche avant la mi-août, ou le dimanche pendant le quinzième jour d’août. En 1703, c’est le « dimanche douzième jour d’août auquel commença cette solennité », et « il s’y trouva une si grande affluence de peuple, qu’on n’en a vue en aucun lieu en ce canton autant ». (BMS Bieuzy 1700-1739 vue 72/501)
7- Le prêtre LESTRAT raconte que début juin 1704, un torillon appartenant à un laboureur de la paroisse de BIEUZY, Julien CABELGUEN, fut mordu par un chien enragé. Au mois d’octobre, le torillon étant lui aussi enragé, fut enterré. Une génisse, à peu près du même âge, ayant trouvé l’endroit où le torillon avait été enterré, devint également atteinte de la rage. Julien CABELGUEN et sa femme promirent de faire un don à Monsieur Saint Bieuzy s’il intervenait pour la guérison de la génisse. C’est ce qui arriva, elle guérit en peu de temps. Le 24 Novembre 1704, jour de la fête dudit Saint Bieuzy, la génisse fut menée au bourg de BIEUZY. A la vue de tout le monde, elle tourna en procession autour du cimetière et elle fut reprise par Julien CABELGUEN et sa femme pour être nourrie, afin que sa valeur soit employée aux besoins de l’église paroissiale de BIEUZY, proche de Saint-Nicolas.
Il est à noter l’importance que pouvait avoir la possession d’une vache ou d’un bœuf à cette époque pour qu’on fasse tout son possible pour les sauver.
Une dévotion eut son heure de célébrité à BIEUZY, celle de Notre-Dame-de-la-rouille ou vocable qui étant traduit du breton « roued » serait plutôt Notre-Dame-des-Rois (c’est elle qui est invoquée dans les guérisons évoquées ci-dessus). Notre-Dame-des-rois (roys) avait déjà sa fontaine près du moulin de Saint-Nicolas du Blavet, au bas de la montagne de Castennec.
Constatant la vénération dont elle était entourée et les guérisons qui s’y produisaient, le prêtre Jacques LESTRAT décida de célébrer en la chapelle de la Trinité toutes les fêtes de la Vierge « en attendant qu’il lui plaise de révéler par quelque moyen le lieu où elle souhaite que sa chapelle soit édifiée, ce qui fut exécuté pour la première fois le 8 Septembre 1698 » (BMS BIEUZY 1630-1699 vue 259).
Deux ans après, la fontaine fut aménagée, mais la chapelle ne fut jamais construite.
On se borna en 1703, à ériger dans la chapelle de la Trinité un autel dédié à Notre-Dame-des-Rois, à la suite de la vision du paroissien voisin de la chapelle (voir ci-dessus N°6)
La dévotion s’est éteinte et la fontaine elle-même s’est tarie depuis le percement du tunnel qui traverse l’isthme de Castennec. Le site de Castennec, situé sur la commune de BIEUZY-LES-EAUX (autrefois paroisse de BIEUZY) est une presqu’île abrupte contournée presque entièrement par le Blavet.
Chapelle de la Trinité (Bieuzy-Les-Eaux)
P.S. En ce qui concerne les mesures anciennes, je n’ai rien trouvé pour le Morbihan, mais un article très intéressant de Michel CHEVALIER : « les mesures anciennes sur le territoire actuel des Côtes-d’Armor ».
L’auteur dit qu’ici « la confusion touche de bien près à l’anarchie, toutefois au milieu de ce pêle-mêle qui semble inextricable au premier coup d’œil, il est possible de distinguer des groupes principaux auxquels se rattachent plus ou moins les variétés ».
Pour les mesures des grains (ce qui nous intéresse ici), « il y avait 100 mesures différentes sur le territoire de notre département, aussi est-il pratiquement impossible de les citer toutes et de donner leurs valeurs. »
Les mesures de Mûr de Bretagne (commune relativement proche de Bieuzy), sont pour le froment et le seigle, le demi-minot de 25 litres, le minot de 50 litres, le renot de 100 litres, le double-renot ou perrée de 200 litres ».
A titre indicatif, « le minot de CHARTRES (28) était de 31,65 litres pour le froment » Voir un article de Marc BOUYSSOU : « de l’utilité du système métrique ».
Sources : les archives départementales du Morbihan
Michel CHEVALIER : les mesures anciennes sur le territoire actuel des Côtes d’Armor
Commentaires
Enregistrer un commentaire