P comme Porcelaine
Laurentius Russinger (1739-1810), le porcelainier et son secret de fabrication
« La porcelaine a d’abord été importée de Chine par les cours royales à partir du XVe siècle. La découverte du secret de la porcelaine en Europe date de 1704 : un alchimiste livre son secret de fabrication et c’est à Meissen près de Dresde que fut créée la première manufacture de porcelaine dure. En Allemagne, on nomme arcanistes les chercheurs du secret de la porcelaine (arcanum = composition de la pâte). Au XVIIIe siècle, les manufactures apparaissent, en Allemagne, en Suisse, dans les pays nordiques, en Russie.
L’enjeu industriel est énorme. En France, en 1740, furent créés les ateliers de Chantilly, puis la fabrication encouragée par Louis XV est transférée à Sèvres et devient manufacture royale. Pour fabriquer de la porcelaine dure, il faut du kaolin ; en 1769, la carrière de Saint Yriex en Limousin est choisie pour ce kaolin ». Le secret de la porcelaine de François Bernard Huyghe 2012
A partir de 1770, Paris devient le centre des arts et de nombreuses fabriques s’y créent en se mettant sous la protection de grands personnages et s’affranchissant ainsi des privilèges royaux jusqu’à la Révolution.
Laurentius Russinger est né en 1739 à Höchst en Allemagne (ouest de Francfort) où se crée une importante fabrique de porcelaine : il y entre à 15 ans pour y être formé en tant que sculpteur et modéliste. Jusqu’en 1768, il gagne en notoriété grâce à son savoir-faire technique et artistique, mais son activité reste peu rémunératrice.
Si bien qu’il décide de venir travailler en France avec son secret de fabrication chimique des pots de porcelaine pour exprimer tout son talent, être reconnu et sans doute faire fortune.
« Ce qui frappe le plus, c’est le nombre considérable d’artisans venus d’Allemagne. Nous retrouvons à Paris, à la tête des 3 plus grandes manufactures de porcelaine nées sous l’Ancien Régime et qui se poursuivirent jusque sous la Restauration, des hommes qui se maintiennent à force d’obstination, de courage et de science. Laurent Russinger est l’un d’eux mais il doit veiller à garder son secret de fabrication que certains auraient voulu exploiter à sa place ». Le secret de la porcelaine cité ci-dessus.
Le 10 mars 1772, dans le registre de clôtures d’inventaires, on peut lire ceci : « Est comparu Russinger, directeur de la manufacture de porcelaine établie au Gros Caillou, y demeurant rue Saint Dominique tant en son nom et à cause de la communauté de biens qui a été entre lui et défunte Elisabeth Lauheimerin sa femme qu’il se réserve d’accepter ou y renoncer ainsi qu’il avisera par conseil, que comme tuteur de Christophe Russinger, leur fils vivant, habile à se dire héritier de la dite défunte sa mère, lequel a affirmé véritable l’inventaire fait à sa requête, le vingt sept février dernier… ».
Laurent Russinger se remarie trois ans après avec Catherine Béhier dont il aura 7 enfants. Dans l’acte de baptême de leur fils François Laurent du 19 décembre 1772, Laurent Russinger est dit « directeur de la manufacture de porcelaine, demeurant rue Fontaine au Roi ».
Il rencontre cette même année Jean-Baptiste Locré : Ce sera l’alliance du financier et du technicien, du marchand et de l’artiste, des capitaux et du talent ; ils vont exercer leur activité au 41 rue Fontaine au Roi, Faubourg du Temple, au lieu-dit La Courtille – actuellement dans le 11e arrondissement- (une borne –pelle Starck- rappelle aujourd’hui l’activité de la manufacture). La marque est alors déposée le 14 juillet 1773, représentant deux torches croisées inscrites au bleu de four sous émail.
En 1776, Laurent exécute un buste grandeur nature de Madame du Barry.
Le 24 juillet 1777 : malgré les difficultés de Locré, Russinger est confirmé dans ses fonctions pour une durée de 12 années aux appointements de 3.000 livres par an et 10% des bénéfices. (cf. document Archives nationales : registre des tutelles 1789 Paris)
« Par devant les conseillers du roi, notaires du Châtelet de Paris, soussignés, furent présents sieur Jean Baptiste Locré de Roissy, entrepreneur de la manufacture de porcelaine allemande établie rue Fontaine au Roi, faubourg du Temple, paroisse Saint Laurent, d'une part et sieur Laurent Russinger, directeur de ladite manufacture y demeurant susdite rue et paroisse d'autre part, lesquels sont convenus entre eux de ce qui suit à savoir que ledit sieur Russinger s'oblige et s'engage de demeurer attaché à ladite manufacture en qualité de directeur pendant l'espace de douze années à compter du premier mai , de donner tous ses soins, d'employer ses talents à bien conduire les opérations de la fabrication, de veiller sur les ouvriers, de continuer à faire les couleurs pour les peintres pendant l'espace des dites douze années durant lesquelles il renonce à pouvoir communiquer à qui que ce soit et sous quelque prétexte que ce puisse être ses connaissances dans tout ce qui est relatif à la porcelaine tant pour les compositions que pour les fonds, le feu et les couleurs (…)
Sieur Locré de Roissy s' oblige de loger, chauffer et éclairer ledit sieur Russinger et lui donner par an la somme de trois mille six cents livres dont la première année à compter du dit jour premier mai dernier (échéer) à pareil jour de l'année prochaine et ensuite ainsi coutume à pareil jour pendant lesdites douze années »…
De 1777 à 1787, la manufacture prend son essor, malgré quelques déboires financiers ; Martin de Bussy s’associe à Locré et confirme Laurent Russinger dans ses fonctions de directeur de la manufacture de porcelaine allemande ; celui-ci garde son secret de fabrication de la porcelaine dure (compositions, fonds, feu et couleurs), conduit l’activité, veille sur les ouvriers, continue à faire les couleurs. La commercialisation des figures en biscuit, des vases à fond bleu et autres productions de qualité se poursuit malgré des démêlés avec la Manufacture de Sèvres qui défend ses privilèges en gardant la production des objets de luxe. Ces privilèges seront abolis le 4 août 1789.
Pendant ce temps Christophe Ignace Russinger, le fils aîné de Laurent, suit les traces de son père en se formant à la sculpture. En 1787, Laurent Russinger rachète la manufacture à Jean-Baptiste Locré ; il emploie alors 50 à 60 ouvriers.
Dans les années qui vont suivre la Révolution, de nombreuses petites manufactures vont se faire concurrence sur ce marché de la porcelaine alors que Russinger doit continuer à rembourser des emprunts (agrandissement de la manufacture) et continuer la production. Il atteint alors la soixantaine et, en 1800, il vend à François Pouyat, porcelainier à Limoges, l’immeuble et le fonds. Laurent reste le contremaître, aidé par son fils Christophe, et apprend l’art de la porcelaine aux trois fils Pouyat en leur transmettant ses connaissances. La Manufacture de Sèvres a perdu son privilège et le kaolin de Saint Yrieix reste abondant, ce qui permet à la manufacture Pouyat-Russinger de rester en bonne place sur le marché avec une centaine d’employés.
En 1806 a lieu la première exposition universelle de l’Empire ; la porcelaine y a toute sa place.
La Société Russinger-Pouyat est dissoute définitivement en 1808 et Laurent décédera deux ans plus tard.
Né avant la Révolution, Laurent Russinger aura pu exercer son talent à la fois sous l’Ancien Régime et sous le 1er Empire. L’abolition des privilèges a permis à sa manufacture de prospérer malgré un endettement permanent. Développer des talents nécessite toujours, comme à l’heure actuelle, non seulement de gérer au mieux le quotidien, d’employer des personnes compétentes mais aussi de trouver les financements nécessaires pour pérenniser l’entreprise, apporter des progrès et donc accroître l’activité.
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