F comme Fuite d’un notable à Sarzeau …
L’intitulé d’un article du quotidien Ouest-France du 29/04/2024 (extrait ci-dessus) nous a intrigués : « escroc et notable, le notaire et maire de Sarzeau a échappé à la justice en 1883 ».
S’agissant d’un événement local et peu connu des habitants originaires de la presqu’île de Rhuys, nous avons lancé une recherche pour établir l’historique de cette affaire avec le secret espoir de trouver le parcours de Gustave-Marie Emile Baëllec.
Un développement de nos investigations est intervenu dans le cadre de l’exposition présentée en août 2024 au sujet de personnalités « remarquables » de la presqu’île de Rhuys organisée par le Cercle Généalogique de Rhuys.
Etat civil
Gustave Baëllec est né en 1839 au sein d’une famille sarzeautine, le père Ange est propriétaire (notamment de salines) et sa mère Céleste De Keyser est également issue d’une famille connue; le grand-père maternel Jacques né à Vannes avant de s’installer à Sarzeau était également propriétaire et l’aïeul paternel était juge de paix.
Il se marie à Nantes avec Félicité Marcé en 1871 à 32 ans. Ils auront 4 enfants nés à Sarzeau.
Les fonctions
Gustave Baëllec a été nommé notaire par décret du 7 avril 1866 puis élu maire de Sarzeau en 1879 représentant les Républicains contre son confrère notaire Cohéléach et a également remplacé ce dernier en tant que suppléant au juge de paix de cette même commune (JO du 18 octobre 1879).
Par la suite, il sera choisi comme conseiller d’arrondissement du canton de Sarzeau à l’élection du 12/08/1883, date qui marque également l’élection au Conseil Général de son principal soutien, le docteur Bourdet exerçant à Sarzeau.
Extrait Progrès de Nantes du 14/08/1883 AD Loire-Atlantique
L’Affaire
La consultation du dossier aux Archives départementales du Morbihan (cote 2U2 670) instruit à partir de 1883 nous révèle en synthèse :
Une absence de tenue de comptabilité de son office depuis de nombreuses années
Un endettement dû au financement de sa charge en l’absence de fortune personnelle et de son épouse.
De nombreuses escroqueries sous 2 formes :
Faux en écriture authentique et publique
Deniers détournés ou dissipés
A titre d’exemple, certains actes étaient établis alors qu’un des contractants, marin, était en mer à la date de signature.
Le cas le plus fréquent était le non remboursement à des créanciers de sommes prêtées via Me Baëllec à des débiteurs l’ayant remboursé dans le cadre de prêts normalement assortis de garantie hypothécaire.
Le 8/09/1883, une réquisition du procureur général du parquet de Rennes est prononcée pour inscription d’abus de confiance de de faux en écriture authentique
Le 9/09/1883, est dressé un mandat d’arrêt par le tribunal de 1re instance de Vannes. On notera le descriptif physique en marge du document.
Mandat d’arrêt du 09/09/1883 AD Morbihan
La fuite
Un procès verbal de la gendarmerie de Sarzeau du 11/09/1883 nous apprend que le boucher Mérian a reçu la visite du notaire : « Vendredi dernier du courant vers 10 heures du soir, Mr Baëllec est venu le prier de vouloir bien le conduire immédiatement à Questembert où il avait des affaires très prenantes à faire et qu’il lui rendrait un grand service …Mr Baëllec était porteur d’un petit sac de nuit en cuir noir, habillé d’un pardessus en drap grisâtre, coiffé d’un chapeau noir forme melon et chaussé de pantoufles en canevas brodé de diverses couleurs de laine ».
Ils sont arrivés à Questembert vers 5 heures du matin et le notaire s’est occupé de l’heure des trains qui allaient sur Redon.
L’interrogation de l’épouse le même jour confirme que « son mari était parti dans la nuit du 7 au 8 du courant sans lui dire où il allait … et ignorait complètement sa résidence actuelle »
Tous les avis de recherches restent infructueux. Quelques personnes originaires de Sarzeau ont déclaré l’avoir croisé à Paris avant de se désister.
Le contexte politique et la presse
Les recherches dans Gallica, Retronews et les AD du Morbihan et de Loire-Atlantique mènent à plus de 110 articles de presse relatifs à Gustave Baëllec dont 2 articles du Monde en date du 08/10/1883 et 02/01/1884.
Le contexte politique apporte plusieurs éléments explicatifs à la résonance de cette affaire :
Au niveau national, le président de la République est Jules Grévy et le président du conseil des ministres est Jules Ferry. Le ministre de la justice Félix Martin-Feuillée sera pris à partie suite à la nomination du procureur de Vannes Wehekind à Nancy et au délai à pourvoir au remplacement du poste de juge de paix suppléant.
Suite à la loi du 29 juillet 1881 qui accorde un régime libéral en matière de presse, de nombreux journaux apparaissent. Deux journaux du Morbihan vont particulièrement « s’affronter » à travers cette affaire : Le Petit Breton (Conservateur / catholique) et l’Avenir du Morbihan (Républicain / laïc).
Extrait du journal Le Petit Breton du 22/09/1883 AD Morbihan
Le juge d’instruction assisté de M. Salmon avoué et secrétaire du comité républicain ont-ils tardé à inculper G Baëllec avant les élections du 12/08/1883 et ne pas compromettre le résultat favorable au Dr Bourdet?
Le dénouement judiciaire
Quelques chiffres :
165 auditions de témoins dont à plusieurs reprises le notaire E Nizery confrère de Baëllec.
La réquisition du Procureur Général du 06/06/1885 mentionne 11 victimes de faux en écriture authentique et publique et 43 personnes ayant subi des détournements de deniers. L’absence de preuves n’a pas permis de faire valoir leurs droits à de nombreux justiciables.
Le document de destitution du titre de notaire prononcée le 26/09/1883 par le tribunal de Vannes fait état d’un montant de 60000 francs de déficit constaté.
Un relevé de liquidation des frais de justice criminelle mentionne un montant de 5300,55 francs dont 3000 francs d’amende.
L’article d’Ouest France indique que le déficit serait de 200000 francs soit 40000 fois le salaire moyen journalier d’un ouvrier.
Le jugement de la cour d’assises du Morbihan du 5 septembre 1885 condamne Gustave Baëllec par contumace à la peine des travaux forcés à perpétuité et à 3000 francs d’amende et aux frais.
Extrait de l’arrêt de condamnation Baëllec AD Morbihan
Épilogue
Mme Baëllec a quitté la commune quelques jours après la fuite de son mari pour s’installer en Loire-Inférieure avec ses 4 enfants. Par jugement du 22/11/1883, elle a obtenu la séparation de biens. Son courrier a été surveillé durant les mois suivant le mandat d’arrêt.
Le père de Gustave Baëllec est décédé quelques mois après le déclenchement de l’affaire.
Quant à Gustave Baëllec, malgré des doutes sur un départ à l’étranger et les recherches engagées, aucune trace n’a pu mener à son arrestation. Aurait-il bénéficié de l’aide de certains de ses soutiens politiques ?
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