G comme un Gaspard peut en cacher un autre

Nous sommes le 20 août 1647, dans l'église de Chatillon sur loing est présente un
personnage de haut rang Elisabeth Angélique de Montmorency mariée à Gaspard IV
de Coligny en 1645 le 26 février à Chateau-Thierry contre la volonté de ses parents.
Son époux absent est évoqué dans l'acte pour sa dévotion.
Coligny a abjuré la foi protestante en mai 1643 par amour(il a en effet enlevé la jeune
fille). L'autre Gaspard, qui pour l'instant s'avance vers le prêtre, lui est natif de
Barbarie. Il va recevoir les sacrements du baptême. Cet évènement est consigné dans
les archives du Loiret (AD45), c'est en recherchant mes ancêtres que j'y ai trouvé
cette transcription qui a attiré mon attention. La commune est devenue Châtillon
-Coligny à partir de 1896 .

Si le couple Coligny amène à la conversion Gaspard, il n'est pas mentionné de parrain
ou marraine. Les titres des personnages et leurs qualités sont mis en avant car ils sont
aussi des soutiens financiers pour la paroisse. Il est possible, comme c'était l'usage à
l'époque, que le prisonnier ait fait l'objet d'un rachat, financé par le couple Coligny
directement ou indirectement ce qui expliquerait qu'il soit arrivé dans cette paroisse
de Chatillon sur loing.
Nous sommes un an avant la fin de la guerre de trente ans. En 1647, Chatillon sert en
Catalogne sous le prince de Condé, comme colonel-général de la cavalerie-légère de
l’armée du roi au siège de Lérida levé le 17 juin 1647. La chronologie des faits
pourrait expliquer que durant ce siège" Gaspard le forçat "soit remis entre les mains
du Maréchal.

Acte original de 1647 AD 45 Châtillon-Coligny, Baptêmes : registre paroissial (1)
Baptêmes (1646-1658), 3 NUM 85/4 vue 22/143.
L'itinéraire du futur baptisé est évoqué sous l'angle religeux, on retrace ses errements
hérétiques après avoir été remis entre les mains du très haut et très puissant seigneur
de Coligny. On notera la signature de Elisabeth-Angélique de Montmorency et celle
de Jacques Joubert chanoine, apposées au bas du document très lisiblement.
Comme on le verra plus loin tous sont à leur manière des personnages hors du
commun. Le couple Coligny: lui un ex-protestant, ayant militairement pris part à
l'Histoire de France, elle catholique, unis dans une époque trouble suite à des
circonstances romanesques. Quant au captif il passe d'une religion à une autre mais
avait-il un autre choix?

Eglise de Saint-Paul et Saint-Jean à Chatillon-Coligny

 

Gaspard obéissait à la loi de Mahomet, Agé de 34 à 35 ans, natif de Barbarie il est
forçat au moment de sa capture sur un batiment espagnol il se converti après avoir été
catéchisé quelques temps. Elisabeth-Angélique de Montmorency dont la signature
figure au bas de l'acte et l'amiral Coligny sont décrits comme exemplaires dans la
pratique de leur religion ce qui aurait inciter le captif à se convertir, je cite: sans
exortations. Par cette action ils s'achetaient des grâces .
II m'a été impossible de donner une ligne de vie à ce Gaspard ayant cherché sans
résultat son nom dans les actes ultérieurs. La plupart des captifs maritimes étaient
enregistrés à Brest où ils étaient débarqués. Les archives historiques de la défense
sont une source mais difficile d'aller plus loin sans éléments sur l'état-civil du
prisonnier.
Autre élément difficile à exploiter, la transcription de l'acte par les AD45 trop
éloignée de l'original. Existe-il une autre transcription ?
Cette histoire évoque un monde de commerce et de tractations des hommes et des
âmes à une époque de Reconquista par les souverains espagnols. Les ordres
Trinitaires et Franciscains s'occupaient de ramener les captifs chrétiens des territoires
musulmans moyennant finances ou échanges.
Ce qui est peut-être le cas de Gaspard capturé par des Français: difficile cependant de
mentionner un lieu sans documents. La guerre franco-espagnole expliquerait
comment ce Gaspard est arrivé à Chatillon-Coligny.

Galère espagnole

Un Léon peut en cacher un autre : Léon l'Africain
Ne pouvant donner à ce "Gaspard" un état-civil complet, ni une ligne de vie, je lui ai
trouvé un illustre prédecesseur "Léon l'Africain ". En 1518, de retour du pèlerinage
musulman à la Mecque, il est fait prisonnier par des marins siciliens sur un bateau
puis par un chevalier de l’Ordre de Saint-Jean, Pedro di Bobadilla qui en fait présent
 

Portrait de "Leon l'Africain" adopté par le pape LéonX de Médicis.

au pape LéonX ce dernier le fait catéchiser puis baptiser sous ses propres noms. Il
devient alors Jean-Léon de Medicis dit "Léon l'Africain". Il termine sa vie en tant que
géographe et ses travaux serviront de bible aux explorateurs,de l'Afrique. Il élabore
une carte d'Afrique du Nord: Nova Barbariae Descriptio.
Voilà que réapparait le terme de Barbarie. Pour nous individus de 2024 le terme est
péjoratif, on pense à la barbarie nazie. Au XVII ème siècle, il désignait des individus
ne parlant pas la même langue rendant les tractations commerciales difficiles. La
cartographie de l'époque lui donne un sens toponymique.

Figure sur cette carte la Barbarie en tant que territoire entre la côte Nord africaine et
le sud du Maghreb. A chaque époque son usage des mots, ses interprétations.
Que dit la Faculté sur l'usage de Barbarie, en particulier le philosophe Montaigne?
Montaigne, liv. I, ch. XXXI dans Gdf. Compl. : Il n'y a rien de barbare et de sauvage
en cette nation, sinon que chacun appelle barbarie ce qui n'est pas de son usage);
1690 p. ext. (Fur. : Barbarie, signifie aussi, Ignorance, grossiereté). Empr. au lat.
barbaria ou barbaries, désignant l'Italie, selon l'usage des Grecs puis tout ce qui est
au delà de la Grèce.
"Gaspard de Barbarie" est devenu malgré lui une star de Chatillon sur Loing à l'instar
des Coligny. Jean-Léon de Médicis est resté dans l'histoire et dans la littérature.
Histoires de vie singulières qui donnent un éclairage sur les usages des XVI et XVII
ème siècles à partir d'acte enregistrés ou manquant dans les registres.
Elisabeth Cousin.