D comme Demaris, le curé qui marie les filles à 5 ans

 

L'ÂGE de 5 ans pour la "mariée" est exact !
Ce mariage est une "curiosité" historique bressane qui a fait l'objet d'étude.
Voici un article paru dans la revue NOS ANCÊTRES ET NOUS, en 1995,
concernant cette aïeule pas comme les autres : une très très jeune épousée par
Georgette SORET.
"Il est pourtant bien banal cet acte de mariage du : « Du 10ème janvier 1644,
Pierre MOREL alias DANNANCHY et Benoîte PAQUET ont reçu la bénédiction
nuptiale par moy soubsigné en présence de leurs parentz et amys ».


Tant que dura son sacerdoce, messire DEMARIS curé de Saint-Jean-sur-
Reyssouze, en rédigea des centaines dans des termes à peu près identiques
tous aussi laconiques et avares de renseignements au sujet des époux. Pour
mieux connaître ce couple, qui vient d'être uni à l'église, feuilletons les
registres paroissiaux.
Ils nous apprennent que Pierre MOREL dit DANNANCHY mourut le 10 juillet
1694, âgé d'environ soixante-douze ans. Il avait donc approximativement vingt-
deux ans le jour de son mariage, un âge qui parait tout à fait plausible, même si
l'on ne peut le confirmer en consultant son acte de naissance : il ne semble
pas être né à Saint-Jean-sur-Reyssouze et beaucoup de communes voisines ne
possèdent pas d'archives aussi anciennes.
Quant à l'acte de décès de son épouse, il nous révèle que : « Benoîte PAQUET,
veuve de Pierre MOREL âgée d'environ soixante-trois ans, a été inhumée le
6ème de may 1700 »


Soixante-trois ans en 1700 ? ... Une soustraction élémentaire nous amène à la
conclusion qu'elle aurait été âgée d'environ sept ans le jour de ses noces.
Messire DEMARIS, curé, a dû faire une erreur ! Pour la corriger, il suffit de
retrouver l'acte de baptême de notre épousée. Le voici : « Benoîte, fille d'André
PAQUET, de la paroisse de Sain-Jean-sur-Reyssouze a esté baptizée le
dizneufviesme aoust 1638... ». Elle avait donc soixante-deux ans en 1700 (une
marge d'erreur insignifiante !), mais surtout elle atteignait exactement cinq ans,
quatre mois et vingt-deux jours lorsqu'on l'a présentée à l'église pour y
recevoir la bénédiction nuptiale.
A peine plus de cinq ans ! Et, l'acte de mariage ne stipule même pas qu'elle
dispose de l'autorisation de son père ou de sa mère ! Ceux-ci faisaient-ils
partie des « parents » présents ? on peut le supposer, puisqu'ils sont tous
deux encore en vie. Clauda GUILLIAD, la mère, mourra à l'âge respectable de
soixante-seize ans, le 13 mars 1682. à Saint-Jean-sur-Reyssouze, « veuve
d'André PACQUET », Pierre MOREL, son beau-fils, étant témoin à ses
funérailles.
S'il n'a pas été possible de retrouver la date précise du décès d'André
PACQUET, les registres de sépultures faisant défaut pendant plusieurs années,
on peut la situer de façon approximative grâce au testament qu'il passa devant
Me DEMARIS, notaire à Saint-Jean-sur-Reyssouze, le 8 décembre 1651. Certes,
ce document montre que le testateur « débile de sa personne à cause de
certaine maladie corporelle... » est à l'article de la mort, mais il indique
également que celui-ci lègue à Benoît, Claude, Joseph, Pierre, Benoîte et Marie,
ses enfants, à chacun 90 livres tournois, payables, pour une moitié « la
première année de la célébration de leurs noces ». On en déduit qu'il ne
considérait pas sa fille Benoîte comme étant mariée, alors qu'elle était censée
avoir reçu la bénédiction nuptiale sept années auparavant! Pour apporter un
peu de lumière dans cette affaire confuse, il reste un dernier recours : le
contrat de mariage des époux. Introuvable en 1644,il existe cependant, rédigé
par Me DEMARIS le 27 juillet 1652, soit plus de huit ans après la cérémonie
relatée par le curé de la paroisse. on y lit les formules habituelles, les « futurs »
époux promettant « de jurer sur les Saintes Écritures de Dieu (...) se prendre
l'ung l'aultre pour vray Mary et femme et ensemblement représenter en face de
nostre mère saincte esglise pour illec recevoir la bénédiction nuptiale et saint
sacrement de mariage ... ».
L'ensemble est écrit au futur, comme dans n'importe quel autre contrat de
mariage. Cependant, une lecture plus attentive nous fournit deux
renseignements intéressants. D'une part, Benoite PACQUET est encore
mineure en 1652, puisqu'elle apparaît « dhument autthorizée par honneste
Hyronisme GUILLIAD, son oncle et Clauda GUILLIAD, sa mère », le décès de
son père au cours des mois précédents se trouvant ainsi confirmé.
D'autre part, la première phrase du contrat, après la traditionnelle formule de
salutation, sort de la routine en rappelant « comme ainsy soit que mariage aye
esté traicté par parolles de présent à debvoir solempnizer en face de nostre
Mère saincte esglise ». Il y aurait donc eu un « mariage par paroles de présent
» célébré avant que les époux se présentent devant le notaire. En effet, avant le
concile de Trente qui, de 1545 à 1563, tenta de mettre un frein â l'expansion du
protestantisme en réformant l'Église catholique et le droit canon, on qualifiait
ainsi les mariages où les futurs conjoints, après s'être transportés â l'église et
présentés au curé pour recevoir la bénédiction nuptiale, se heurtaient à son
refus. Ils déclaraient alors, l'un et l'autre, en présence des notaires qu'ils
avaient amenés, qu'ils se prenaient pour mari et femme et ils en demandaient
acte au notaire. Mais le concile de Trente décréta absolument sans valeur cette
simple déclaration.
Dans le cas qui nous intéresse, non seulement le curé ne refusa pas sa
bénédiction, non seulement le mariage par paroles de présent était interdit
depuis près d'un siècle, mais il n'aurait en aucun cas pu concerner une fillette
aussi jeune, l'église ayant toujours veillé à ce que les parties contractantes
aient atteint l'âge de la puberté, c'est-à-dire quatorze ans pour les garçons et
douze ans pour les filles. Deux sortes de fiançailles.
Ne pourrait-on, alors, à défaut de mariage parler de fiançailles ? Jusqu'au
milieu du XVIème siècle, celles-ci se déroulaient parfais à l'église et même,
dans certains diocèses, se fiancer devant un prêtre était une obligation. Le
curé de Saint-Jean-sur-Reyssouze aurait-il tout simplement employé un mot
pour un autre ? Il existait en effet deux sortes de fiançailles : les fiançailles par
paroles de futur, par lesquelles les deux parties promettaient de se marier, et
les fiançailles par paroles de présent, qui, selon les anciens canonistes étaient
de vrais mariages, c'est-à-dire qu'il suffisait à deux personnes d'exprimer leur
consentement au mariage pour être censées mariées. Le droit canon fixait à
sept ans accomplis l'âge requis pour les fiançailles, quelle que fût leur forme,
et les parents pouvaient fiancer leurs enfants impubères ; mais ces fiançailles
n'étaient valides que lorsque les enfants, parvenus à l'âge de la puberté, les
avaient ratifiées. Dans le cas des fiançailles de présent, elles étaient converties
en fiançailles de futuro quand c'étaient des impubères qui les avaient
contractées.
Si l'on veut bien imaginer que Benoîte PACQUET avait la morphologie et
l'entendement d'une fillette de sept ans, peut-on admettre qu'il s'agit, dans son
cas, de fiançailles par paroles de présent ? Il resterait d'autres objections :
certains canonistes, par exemple. affirment que les fiançailles se différencient
du mariage par le fait qu'elles ne sont pas accompagnées de la bénédiction
sacerdotale -qui a bien été accordée- et le concile de Trente avait interdit les
fiançailles par paroles de présent.
Un mariage évident.
Mariage ? Fiançailles ? on peut jouer sur les mots, mais il faut bien admettre
l'évidence d'un fait attesté tant par un prêtre que par un notaire : Benoîte
PACQUET a été unie à Pierre MOREL religieusement, par conséquent pour la
vie, en infraction avec toutes les lois canoniques en vigueur au milieu du
XVIIème siècle, alors que le notaire a pour sa part attendu la puberté de la
future épouse pour rédiger le contrat de mariage.
Faut-il supposer un acte d'insoumission du prêtre, un mouvement de révolte
contre les autorités ecclésiastiques ? C'est peu probable. Si l'on consulte les
registres des mariages de Saint-Jean-sur-Reyssouze ou ceux des paroisses
voisines que le temps a épargnés, on constate que les décisions du concile de
Trente n'étaient guère appliquées â cette époque dans ce coin de la Bresse.
Connaissant les conditions exigés pour qu'un mariage soit valablement
contracté, consentement des époux, âge de la puberté. consentement des
père, mère ou tuteur, proclamation de trois bans, assistance de deux témoins,
bénédiction par le curé de la paroisse de l'un des mariés, et sachant que le
défaut de l'une de ces conditions entraîne la nullité de l'union (sauf si une
dispense a été accordée), on ne peut que s'étonner de la brièveté des actes
rédigés par les curés, qui ne mentionnent nullement si ces diverses conditions
ont été remplies.
Il faudra attendre la publication de l'ordonnance royale de 1697 pour que les
prêtres se montrent plus prolixes, signalant en particulier qu'ils ont « observé
les formes du concile de Trente ». Une méconnaissance des textes ?
Rien n'empêcherait de croire que Messire DEMARIS a agi en toute bonne foi,
ne pêchant que par une connaissance incomplète de textes très anciens ou par
une ignorance en matière canonique que pourrait expliquer son isolement
dans une petite paroisse provinciale.
Une autre question vient alors à l'esprit : pourquoi les parents de Benoîte
PACQUET ont-ils voulu la marier â un âge aussi tendre ? Ils sont tous deux
vivants, pas très âgés, sa mère a environ trente huit ans, ils possèdent
quelques ressources puisque le père est laboureur, ce qui devrait lui permettre
d'élever ses six enfants sans être dans l'obligation de rechercher pour sa fille
la sécurité matérielle que pourrait lui assurer un mari lié à vie par une
bénédiction religieuse.
Et pourquoi Benoîte, et elle seule ? Marie, sa soeur cadette, ne se mariera
qu'en 1669. Faut-il envisager un désir impatient de réunir les biens et
propriétés de deux familles bien nanties ? Si l'on en juge par le testament
d'André PAQUET, celui-ci ne possédait aucune fortune immobilière et, lorsque
Pierre MOREL mourra, le 10 juillet 1694, il léguera à Antoine, Philibert, Philippe,
Jean, Benoîte, Marie. Catherine, Claire, Claudine, Françoise et Jeanne, ses
enfants, a chacun 30 livres, payables « incontinent qu'ils auront atteint l'âge de
majorité ou qu'ils se marieront... ». Benoîte PACQUET, sa femme, légataire
universelle, reçoit, « ses autres biens meubles et immeubles », sans autre
précision. On peut cependant supposer que les « immeubles » n'atteignent
qu'un montant assez modeste, l'acte ayant été « faict dans une grange où est à
présent censier le dict testateur ».
Un événement incontestable malgré tout. Il faut donc se résigner à rester dans
l'incertitude en ce qui concerne ce curieux mariage, qu'il s'agisse des
motivations des parents ou de l'attitude du curé de Saint-Jean-sur-Reyssouze.
L'évènement n'en est pas moins incontestable : au milieu du 17e siècle, une
fillette est mariée à 5 ans ! "
A noter que ce couple aura été prolifique : 13 enfants sans aucun décès en bas
âge ce qui est exceptionnel à cette époque à la campagne et la preuve qu'il
vivait dans une relative aisance matérielle.




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