R comme Révolution des pommes de terre

Nous sommes en 1840, à cette époque les principales nourritures des bressans et comtois du Revermont sont les gaudes et les pommes de terre. Le pain étant très cher, les pauvres gens n’en mangent que très peu.

Monsieur de Vanoy de Fonteille qui a succédé au comte de Saint Germain au château de Courlans est maire de cette commune sous la seconde Restauration. C’est un riche propriétaire terrien ; son immense fortune lui permet d’accaparer tout ce qui le ravitaillement nécessaire à l’alimentation des gens et du bétail.

Ce jeudi 2 avril 1840, jour de foire à Lons-le-Saunier, il envoie son personnel avec ses voitures afin d’acheter le maximum de produits alimentaires pour les revendre plus tard avec de substantiels bénéfices.

Dès huit heure du matin, la presque totalité des pommes de terre amenées sur le marché est achetée et chargée sur les voitures de Monsieur le Comte.

Lorsque les ménagères lédoniennes arrivent pour faire leur marché, il n’y a presque plus rien à vendre et le peu qui reste a doublé de prix. Elles s’en indignent et quelques-unes à la voix forte et au langage énergique profèrent des menaces. On va chercher le maire de la ville pour essayer de les calmer. Malgré une promesse de distribution de comestibles rien n’y fit ; on ne voulait pas d’une aumône déguisée. Tout ce monde excité décida qu’on ne laisserait pas partir les voitures de Monsieur de Vanoy pour Courlans lieu de son château. Ces dernières furent donc provisoirement remisées à la caserne et leur départ ajourné au lendemain ...

Mai l’agitation ne cessa pas de la nuit, des guetteurs bénévoles surveillaient la caserne ; les femmes et les enfants avaient leurs poches remplies de cailloux.

Dans l’après-midi du 3 avril, les voitures se mirent en route escortées de gendarmes et de soldats pendant qu’une grêle de pierres s’abattait sur les autorités.

Plus de 2000 personnes alertées attendaient le convoi à l’extrémité de la rue des Salines, et en face la foule s’élança sur les voitures, les renversa et le pillage de leur contenu fut l’affaire d’un instant.

Les gendarmes, débordés avaient été impuissants. Leur capitaine assez grièvement blessé par un pavé dut être hospitalisé. Soudain un cri retentit : « Je n’ai pas eu ma part ! Au château, ! vite ! » Et ce fut la ruée vers la demeure de Monsieur le Comte dont la cave bien garnie fut bientôt mise à sac. Les révoltés se désaltérèrent largement et saccagèrent le château.

Rien ne fut sauvé ! les meubles, les glaces, les tableaux furent jetés par les fenêtres, les tonneaux enfoncés, les papiers, les registres brûlés, les bijoux volés. Deux heures avaient suffi pour mettre à sac le château.

Au moment où le Préfet s’avançait vers les perturbateurs pour essayer de les calmer et les sommer de se retirer, l’un-deux le saisit à la gorge, et ce haut magistrat dut sortir son épée pour se dégager.

Bientôt des renforts arrivèrent, le 7ème de Cuirassiers de Dôle, les brigades de gendarmerie de Beaufort, Mantry, Bletterans… Mais ils arrivaient trop tard pour sauver quoi que ce soit.

Le drame aurait peut-être fini dans le sang, si Monsieur de Vanoy ne se fut échappé, déguisé en paysan ; une blouse, un bonnet bressan et un bâton rustique. Il se réfugie chez le curé de Chilly où l’avaient déjà précédé sa femme et sa fille.

Durant la nuit, de nombreuses arrestations étaient opérées et les inculpés immédiatement emprisonnés à Lons-le Saunier. Au mois d’août suivant, 39 accusés furent transférés de Lons-le-Saunier à Besançon et au mois de septembre, ils comparurent devant la cour d’assises du Doubs.

Les jurés populaires acquittèrent 32 prévenus mais en condamnèrent 4 à plusieurs mois d’emprisonnement et 3 à la réclusion.

Dès le calme revenu à Courlans et dans la région, Monsieur de Vanoy assigna devant la justice les communes de Lons-le-Saunier, Cesancey, Montmorot, Courlans, Courlaoux, Messia, Chilly et Saillenard.

Il réclama 194 000 francs à titre de réparation civile et 970 000 francs de dommages intérêts.

Les communes de Courlans, Messia, Chilly furent mises hors de cause, mais en 1845 Lons-le-Saunier dut payer 71 500 francs, Montmorot 3250, Courlaoux 162, Chilly et Messia chacune 862 francs.

Après toutes ces péripéties Monsieur de Vanoy devenu impopulaire dans la région dut se résigner à vendre son château et ses propriétés et quitter définitivement le pays.

Voilà succinctement résumé ce que l’on appela au XIXe siècle la « révolte des pommes de terre ».


Source : « Révolution des pommes de terre » de E. Monot, Vieux Lons 1909.



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